Une cigale endurcie
aux épreuves de la vie
rencontra par pur hasard
un misérable cafard,
qui prenait, le ventre à l’air,
le soleil en plein hiver.
Presque étranger à lui même,
il dormait depuis la veille.
La cigale par ce ventre,
étalé aux quatre vents,
fût plus choquée qu’on ne pense
et réveilla le manant :
« -Ne ressens-tu point de honte,
nuisible et vil hanneton,
à cuver le vin précieux
qui en a fait suer d’autres?
Te crois-tu chez les apôtres
pour verser le sang de Dieu
dans ton infâme gosier
seulement bon à ronfler? »
Mais le coquin, sans délai
lui expliqua sa morale :
« -Je ne crois en rien ma caille,
surtout pas au capital,
et puisque tout m’est égal,
que m’importe le travail!
D’ailleurs pour votre gouverne,
je ne suis point hanneton
mais cafard de mon état,
gente dame sans pardon. »
Il parla d’un joli ton,
or la vieille le prit mal
et lui flanqua sur les reins
un bon coup de baluchon,
qu’elle portait à l’épaule.
Le filet à provisions
s’en trouva bien mal en point,
gisant soudain à leurs pieds
comme une panse éventrée.
Lui, placide, il prit de haut
la cigale dévastée
par sa rage et son dépit
d’avoir -sans le faire exprèsgaspillé ses provisions.
« -Hélas! vois ce désastre,
toi qui trime, qui t’acharne,
constate le résultat;
à quoi bon se fatiguer…
La cigale renonça
à réparer son ouvrage
et laissa sur le carreau
tout le fruit de ses travaux.
Depuis elle broie du noir
et comme elle n’a plus la foi,
la pauvre s’est mise à boire!